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by Valentin, November 13 2022, in books

Nucléaire, Stop ou Encore ? (Antoine de Ravignan, 2022)

Ce livre explore la question de l'énergie nucléaire, et plus particulièrement celle de l'énergie nucléaire en France, laquelle se repose sur le nucléaire pour 70% de son électricité. Une exception dans le monde, qui est due à un développement extraordinaire dans les années 80. Spoiler alert : à la question posée dans le titre, le livre répond "Stop".

J'ai trouvé le livre extrêmement bien documenté. Toutes les notions techniques relatives au fonctionnement du nucléaire correspondent à ce que j'avais déjà pu lire sur le sujet précédemment (sujet auquel je m'étais intéressé après avoir vu la série Chernobyl). Les faits et les enjeux sociétaux concernant l'énergie correspondent à ce que j'ai pu lire ou entendre sur le sujet ailleurs. Toutes les assertions du livre sont vérifiables via pléthore de références en notes de bas de page. Bien que je n'ai pas la prétention d'être moi-même expert sur le sujet, j'ai l'impression qu'on est sur un travail très sérieux de quelqu'un qui maîtrise le sujet. J'ai appris pas mal de choses.

Le sérieux de cette accumulation de faits étant admis, c'est donc dans la mise en lumière de ces faits, leur interprétation, et les jugements à émettre à partir de là, que réside la marge de manœuvre qui permet d'être d'accord ou pas avec le raisonnement de l'auteur.

Ce raisonnement est articulé en trois grandes phases : premièrement, la présentation des défauts du nucléaire afin de montrer que ça n'est pas une énergie satisfaisante ; deuxièmement, l'explication selon laquelle le déploiement massif du renouvelable sera nécessaire dans le mix énergétique, au moins en accompagnement du nucléaire ; troisièmement, la justification qu'un mix quasi-intégralement renouvelable (voire 100% renouvelable) est envisageable.

Au-delà des contre-arguments qu'on peut apporter aux détails individuels du raisonnement, le livre souffre selon moi d'une faiblesse structurelle : il compare une énergie qui est déjà en place à l'échelle (le nucléaire) et y trouve de nombreux défauts à cause des diables dans les détails de l'exploitation, à une énergie (les renouvelables) qui n'a jamais été mise en place à l'échelle, dont la capacité à être exploitée à l'échelle reste donc entièrement théorique, et dont on ne saurait trouver les défauts de l'exploitation en pratique, puisque exploitation, il n'y a pas.

Cela ne signifie ni que le nucléaire est satisfaisant, ni que les renouvelables ne peuvent pas fonctionner, mais simplement que le raisonnement est biaisé. Le moteur de ce biais est la confiance bien trop cavalière que l'auteur accorde aux études théoriques des différentes organisations qui publient des scénarios sur la faisabilité de telle ou telle solution. "La démonstration [d'un mix haut-renouvelable] en a largement été faite. [...] Pas seulement par des experts engagés en faveur d'une sortie de l'atome mais aussi par des institutions publiques qu'on ne peut dire partisanes et dont aucun ingénieur et économiste sérieux ne saurait contester la robustesse des analyses." C'est donc sur cet argument d'autorité qu'on devrait accepter comme acquise l'analyse, sans pouvoir la contester sous peine de ne pas être sérieux ! (Il existe des gens suffisamment sérieux pour être auditionnés à l'Assemblée Nationale qui contestent précisément ces analyses.)

La petite phrase précédente est d'autant plus choquante venant du livre, car ce dernier défend au demeurant la nécessité d'un débat citoyen éclairé, et non pas l'accaparation du sujet par des experts technocrates qui prendraient des décisions dans leur coin sans que personne ne comprenne ce qui se passe. L'auteur souligne que cette soif de technocratie est habituellement l'apanage des pro-nucléaires, qui se considèrent dans le camps des "rationnels", mais il faudrait donc faire bien attention à ne pas basculer dans ce même écueil lorsqu'on parle du renouvelable en évoquant les études qui "démontrent" et dont "on ne saurait contester la robustesse".

Dans le reste de cet article je reviens sur les trois grandes parties de l'argumentation, et pour chacune d'entre elles, j'équilibre avec les contrepoints et les doutes qui me sont venus à l'esprit.

Le nucléaire n'est pas satisfaisant

Le nucléaire est cher

La première remarque que fait l'auteur est que le nucléaire n'est pas une énergie qui se développe de manière massive dans le monde, pourvu qu'elle soit pilotable et non émettrice de CO2 (qui sont les deux qualités essentielles recherchées pour répondre au réchauffement climatique). C'est le coût des centrales qui est identifié comme le point bloquant. Une centrale nucléaire est un projet colossal, qui est non seulement très long à mener à terme, mais aussi très long à rembourser via son exploitation une fois terminée.

La situation de la France dans les années 80 est donc identifiée comme une exception au cours de laquelle les étoiles géo-politiques et financières se sont alignées, phénomène sur lequel aucun autre pays (ni même la France des années 2020) ne peut vraiment compter. Sous la pression de décarboner leur production d'énergie, c'est donc simplement par manque de moyens que de nombreux pays se tournent vers les énergies renouvelables, qui sont largement plus accessibles, même si elles ne sont pas pilotables (et nécessitent donc des énergies fossiles pour combler les trous de production).

Même si ces pays tentaient leur chance avec le nucléaire, les projets industriels nucléaires sont tellement enclins à souffrir de development hell, que le succès n'est pas garanti, et que les délais peuvent atteindre de tels ordres de grandeur qu'ils commencent à être non négligeables par rapport au calendrier des objectifs de décarbonisation.

Cela est particulièrement vrai pour les têtes de séries, comme le réacteur Flammanville-3 (tête de série de l'EPR en France) dont la construction a commencé en 2007 et qui, initialement prévue pour 5 ans, n'est toujours pas terminée, et ne devrait pas se terminer avant fin 2023, malgré les compromis qui ont été fait sur la sûreté par rapport à la conception initiale.

Contrepoints

  • Dans le dernier chapitre du livre, lorsque l'auteur parle du fonctionnement d'un mix fort en renouvelable, il explique que, à partir du moment où le renouvelable dépasse 35% de la production, les adaptations à faire sur l'infrastructure électrique du pays induisent un coût significatif, comparable aux coûts du nucléaire. Cela semble donc auto-détruire cet argument du début du livre : les pays qui ne seraient pas capables de faire du nucléaire à l'échelle finiraient par se rendre compte qu'ils ne peuvent pas non plus faire du renouvelable à l'échelle. (Cela dit, 35% de renouvelables sont toujours déjà préférables à 35% de sources fossiles.)
  • Le livre passe tranquillement la Chine et l'Inde sous le tapis comme étant des "exceptions" qui investissent dans le nucléaire. Ces "exceptions" sont respectivement les premiers et troisièmes producteurs d'électricité dans le monde, et représentent à eux deux 38% de la production mondiale. (Cela dit, ils investissent aussi énormément dans les énergies renouvelables.)
  • Cette partie du livre m'a fait penser à la vidéo The Economics of Nuclear Energy, que je recommande. Cette vidéo met notamment en lumière le fait que le nucléaire est certes un investissement risqué et massif, mais très lucratif une fois qu'il est en rythme de croisière. La raison pour laquelle ces investissements sont si durs à initier est avant tout le court-termisme politique, qui rend fondamentalement difficiles les investissements dont l'horizon dépasse largement la durée d'un mandat.

Les difficultés à faire du nucléaire mettent une pression pour des compromis sur la sûreté

C'est le propre de tout projet compliqué et en retard que de faire des compromis, et ces compromis sont typiquement fait sur la sûreté. L'industrie nucléaire, malgré l'image sophistiquée qu'on puisse s'en faire, n'est pas exclue par ce phénomène. En France, l'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) est l'organisme indépendant qui surveille le niveau de sûreté du nucléaire. Le livre plonge dans le détail des dossiers afin de montrer à quel point la sûreté nucléaire est un éternel jeu de négociations entre l'État, l'ASN, et EDF. J'étais déjà au courant de la non-perfection de la sûreté du nucléaire via un épisode des Pieds sur Terre, dans lequel un employé d'EDF explique comment il a été contraint de falsifier des données à propos de la centrale de Tricastin afin de cacher des informations à l'ASN, ce qui noirci encore plus le tableau.

L'accident à éviter à tout prix dans un réacteur nucléaire est la fusion du cœur. Fusion au sens chimique : l'assemblage d'uranium et tout ce qu'il y a autour passe à l'état d'un magma (le corium) extrêmement radioactif. Dans ces conditions, il n'y a plus de garantie sur l'absence de rejet de radioactivité dans l'environnement. Premièrement parce que dans le cadre d'un tel accident il est vraisemblable que l'enceinte de confinement ne soit plus totalement étanche (euphémisme dans certains cas), et deuxièmement parce que si de la pression s'accumule dans l'enceinte de confinement, il peut être préférable de volontairement laisser s'échapper de la matière (dont radioactivité) afin d'éviter une rupture complète.

Le réacteur est donc constamment refroidi à l'eau afin qu'il n'entre pas en fusion. En cas de coupure d'électricité (ce qui, a priori, désactiverait les pompes à eau), des barres de contrôle (qui ont pour vertu de capturer les neutrons et mettent donc donc un terme aux réactions de fissions) s'insèrent dans le cœur pour immédiatement arrêter son activité. Il s'agit d'un système passif : les barres sont tenues en l'air par l'électricité, elles tombent par gravité dans le cœur en absence d'électricité. Cependant, même une fois éteint, le cœur continue de dégager une chaleur non négligeable à cause de la radioactivité des produits de fission, chaleur suffisante pour le faire fondre au bout de quelques heures. Des générateurs de secours doivent donc prendre le relai pour continuer à pomper l'eau et refroidir le cœur.

Parmi les exemples qui illustrent que le nucléaire est loin d'être d'une sûreté invincible, il y a la géographie de la centrale de Tricastin : cette dernière est construite en contrebas du canal qui l'alimente en eau, si bien que la rupture de la digue du canal (à cause d'un séisme ou de toute autre raison) inonderait la centrale, ce qui pourrait entraîner la perte du refroidissement des réacteurs. Malgré que la centrale tourne depuis 1980 et que l'IRSN avait déjà lancé des alertes en 2007, ce n'est qu'en août 2017 que EDF remonte officiellement une alerte à l'ASN. Cette dernière ordonne l'arrêt de la centrale un mois plus tard, tant que la digue n'a pas été renforcée pour résister à un séisme (travaux que EDF a réalisé dans les 3 mois qui ont suivis 😌).

Parmi les exemples qui montrent le type de négociations qui peuvent avoir lieu entre l'état, l'ASN, et les acteurs industriels du nucléaire, il y a la cuve du réacteur de Flamanville en construction. Cette dernière a été livrée en 2013 après 7 ans de construction, pour que Areva détecte en 2014 que la composition chimique n'est pas aux normes. L'ASN, ayant obtenue cette information, interdit la mise en service de cette cuve en l'état. Le gouvernement rentre en jeu en 2015, en publiant un décret qui "autorise l'ASN à autoriser" sous réserve qu'Areva effectue des tests afin de démontrer que la cuve, en l'état, et sûre. Cette démonstration a lieu 2 ans plus tard, lorsque Areva présente les résultats d'essais de sûreté à l'ASN. Sauf qu'entre temps la cuve a déjà été installée dans le réacteur, rendant impossible le remplacement de son fond, si tant est que les résultats des essais l'auraient nécessité. (L'ASN a autorisé la mise en service de la cuve, sous réserve de "sa surveillance".)

Ces enjeux sont d'autant plus cruciaux pour le parc actuel, dont les installations sont vieillissantes. Les centrales du parc sont conçues pour fonctionner pendant 40 ans, et vont donc toutes arriver à expiration dans les années 2020 et 2030. Puisque nous n'avons pas la capacité de toutes les remplacer à temps, il va falloir les prolonger. Le standard défini par l'ASN pour prolonger une centrale consiste à mettre à jour un certains nombre de ses composants pour les rendre aussi fiables que ceux des réacteurs de dernière génération. Mais puisque nous n'avons pas non plus la capacité d'effectuer ces mises à jour (qui nécessitent l'arrêt de la centrale) tout en maintenant notre capacité de production, il faut aussi repousser l'échéance de ces mises à jour. Au final, le calendrier des mises à jour s'échelonne jusqu'à 48 ans de fonctionnement sans mise à jour pour certaines centrales.

Face au risque d'accident, l'auteur cite quelques estimations de probabilité d'un accident nucléaire, généralement très faibles, qu'il écarte d'un revers de la main, puisqu'elles sont basées sur des hypothèses inconnues. Le directeur de l'ASN lui-même a dit devant le Sénat que personne ne peut prétendre qu'un accident nucléaire n'est pas possible.

Je suis sensibilisé depuis que j'ai lu Antifragile à l'inutilité des calculs de risques de type high-impact low-probability (de tels calculs sont en principe simplement faux). La seule chose à faire est de partir du principe que le pire des cas arrivera et de minimiser son exposition à une telle occurrence (The predictors' reply when we point out their failures has typically been "we need better computation" in order to predict the event better and figure out the probabilities, instead of the vastly more effective "modify you expose" and learn to get out of trouble). Dans le cas du nucléaire, il me semble que c'est l'inconnue du "pire des cas" qui rend la question compliquée.

Contrepoints

  • Il semble logique que les choses qui font l'objet d'une observation minutieuse sont précisément les choses qui souffriront du plus de "dossiers". Bien que l'accumulation d’anecdotes par l'auteur dans cette partie du livre dresse un tableau a priori accablant du nucléaire, c'est avant tout le signal que l'ASN fait très bien son travail et que cette industrie est très fortement surveillée. Elle est vraisemblablement d'un niveau de sécurité très avancé. (Mais c'est peut-être le strict minimum pour une industrie de cette nature, qui partirait en vrille au moindre relâchement.)
  • L'accident à éviter à tout prix selon l'auteur est un accident de type Fukushima. Sauf que les pro-nucléaires sont blasés de Fukushima, essentiellement dû à la quantité inoffensive de radioactivité lâchée dans l'environnement. L'auteur pointe du doigt les conséquences politiques (un accident donne une incitation forte aux politiciens, face à l'opinion publique, d'arrêter les centrales, alors remplacées par les énergies fossiles) et financières (200 milliards d'euros pour le seul démantèlement de la centrale), mais soyons honnête, c'est bien la radioactivité qui fout la merde. C'est à ce titre que le "pire des cas" mériterait d'être discuté. Ma compréhension en l'état de cette question est qu'en cas d'accident nucléaire, "shit's fucked up yo", et qu'il est difficile de garantir une borne supérieure sur la quantité d'émissions dans l'environnement (c'est pour ça que je ne suis pas convaincu des discours rassurants pro-nucléaires).

Les déchets sont complexes à gérer

L'uranium se présente dans la nature sous la forme de 2 principaux isotopes : U-238 (99.27%) et U-235 (0.72%). Seul U-235 est fissile, et c'est donc celui qui est intéressant pour une centrale nucléaire. Pour cette raison, les minerais d'uranium passent d'abord par une étape d'enrichissement, c'est-à-dire que la teneur en U-235 par quantité de matière est augmentée. Pour le nucléaire civil, il est suffisant d'enrichir l'uranium à hauteur de 4% : le combustible présent dans un réacteur nucléaire contient 4% d'isotopes U-235.

Lors du fonctionnement du réacteur, ce combustible va donner vie à de nouveaux isotopes :

  • Les produits de fission, qui sont le résultat des noyaux d'uranium qui ont fissionnés en plus petits éléments. Krypton, barium, césium, sont des exemples de tels éléments. Ils sont très radioactifs.
  • Les actinides, qui sont des noyaux qui ont capturé des neutrons et ont muté en d'autres éléments. On peut les séparer en deux catégories :
    • Les actinides "mineurs" (e.g. Neptunium) qui sont inutilisables et très radioactifs.
    • Le plutonium, dont une partie est recyclable (pas seulement pour les armes nucléaires, mais aussi pour le civil).

Une fois qu'un réacteur a effectué un cycle et que le combustible est changé, le combustible usé contient :

  • 96% d'uranium appauvri, essentiellement non fissile (puisqu'une grande partie des isotopes U-235 ont fissionnés), mais dans lequel il reste tout de même des isotopes fissiles.
  • 3% de produits de fission et d'actinides mineurs.
  • 1% de plutonium.

La plupart des pays décident de tout considérer comme des déchets, mais la France et la Russie s'inscrivent en exception, car ils recyclent l'uranium (qui peut être ré-enrichi) et le plutonium (pour être utilisé dans les réacteurs de type MOX, et potentiellement un jour dans les réacteurs à neutron rapide).

Le livre critique le fait que la France se targue de "recycler" 97% du combustible usé (et donc de réduire les déchets) lorsqu'une bonne partie de ce dernier se retrouve ni recyclé ni enfoui, mais simplement entreposé. La doctrine est en effet que toute matière radioactive qui pourra avoir un usage utile n'est pas un déchet. Ainsi la France stocke actuellement 318 000 tonnes de métaux lourds radioactifs (uranium appauvri et plutonium), dont le recyclage est tout à fait théorique, si bien que l'ASN considère depuis 2020 qu'il s'agit en partie de déchets.

En ce qui concerne les 3% de déchets hautement radioactifs, ils sont vitrifiés dans des fûts en acier inoxydable. Cependant, avant d'en arriver là, ils doivent être refroidis en piscine de désactivation, d'abord dans la centrale elle-même, puis dans l'usine de retraitement de La Hague. Non seulement les risques liés à l'interruption de refroidissements du cœur du réacteur s'appliquent aussi aux déchets en cours de refroidissement, mais ces piscines constituent un goulot d'étranglement sur le chemin du traitement, qui est donc un élément en plus susceptible d'appliquer une pression pour des compromis sur la sûreté.

Contrepoints

Le contrepoint principal aux remarques alarmistes à propos des déchets nucléaire réside essentiellement dans le fait que leur toxicité nucléaire, bien qu'à ne pas prendre à la légère, n'a pas pour autant l'exclusivité de la dangerosité en comparaison de la toxicité chimique des déchets de toute autre industrie. En l'occurrence, leur surveillance accrue amène le même contrepoint que celui de la section précédente : c'est là où on surveille le mieux qu'on trouvera le plus de défauts.

Le renouvelable sera nécessaire pour au moins accompagner le nucléaire

Pour cette partie, l'auteur se repose sur des études de différentes organisations, en particuliers: négaWatt, l'Adem, et RTE. Le principe de ces études est ce concevoir des scénarios qui permettraient à la France d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Les différents scénarios donnent différentes trajectoires possibles sur le mix énergétiques (de 100% nucléaire à 100% renouvelables en passant par les intermédiaires) et dressent les hypothèses qui permettent ou non d'utiliser telle trajectoire.

Le point de départ des raisonnements consiste à regarder la part de l'électricité dans la consommation finale d'énergie du pays : en France, 25% de l'énergie finale consommée provient de l'électricité (chauffage, lumière, machines électriques), et les 75% restants d'autres sources, la grande majorité d'entre elles étant émettrices de CO2 (transport, industries, machines thermiques, etc). Ainsi, la question de l'électricité est loin de suffire à résoudre le problème des gaz à effet de serre, puisqu'elle n'influe que sur le quart de ce problème.

Il existe des solutions permettant de décarboner les 3 quarts restants, telles que la biomasse ou l'électrification des procédés (à supposer que la source d'électricité soit verte), mais ces solutions ont une vitesse de mise en place très faible, et il ne faudra pas compter dessus pour atteindre la neutralité carbone. C'est pour cette raison que toutes les études s'accordent sur un point : le seul moyen d'atteindre les objectifs est de diminuer la consommation totale. Pour cela, il faut d'une part améliorer l'efficacité (produire autant de choses mais en utilisant moins d'énergie), et d'autre part simplement consommer moins : la sobriété.

En partant du principe que l'efficacité et la sobriété ne pourront pas être poussées à l'infini et qu'il restera donc toujours pas mal de puissance à générer, les études misent donc tout de même sur une certaine avancée de l'électrification des 75% restants (parmi d'autres solutions). Par exemple, l'une des études donne le chiffre de 55% de l'énergie finale provenant de l'électricité en 2050. Pourcentage sur un total censé être certes plus petit, mais qui correspond tout de même à une valeur absolue nettement supérieure à la quantité d'électricité produite aujourd'hui. En bref, il faut imaginer qu'en 2050 on devra produire largement plus d'électricité qu'aujourd'hui.

C'est là que le raisonnement reboucle avec les défauts du nucléaire pré-établis : compte tenu des grandes difficultés à remplacer le parc nucléaire actuel (et donc à juste maintenir la puissance actuelle), il semble invraisemblable de penser que le nucléaire seul serait capable d'assumer une augmentation significative de la puissance demandée. Par exemple, dans le rapport de RTE, le scénario qui maximise la part du nucléaire dans le mix est basé sur un rythme effréné de constructions de réacteurs, que EDF considère comme son maximum théoriquement faisable mais qui 1/ n'a pas été décidé en l'état et 2/ ne serait probablement pas atteignable en pratique quand bien même il serait décidé.

Dans une telle situation, en l'absence d'investissements sur le renouvelable, les solutions restantes pour répondre à la demande serait de : prolonger abusivement le parc existant (dangereux, et insuffisant) ; faire brûler des bons vieux fossiles (le problème qu'on cherche à résoudre).

Selon le livre, ce principe est en fait déjà une réalité, puisque les renouvelables se substituent déjà en partie aux énergies fossiles lorsque le nucléaire n'est pas capable d'assumer la demande pendant l'arrêt des réacteurs pour la grande phase de maintenance pour la prolongation du parc.

Contrepoints

Mon principal doute à propos de ce raisonnement concerne l'étape où les calculs se mettent à supposer une forte électrification des 75% d'énergie actuellement non électrique. Cette hypothèse est faite par nécessité du raisonnement à partir du moment où on limite l'hypothèse de la sobriété, mais elle nécessite en pratique que cette grande électrification puisse bel et bien avoir lieu sur le plan technologique, et le livre admet lui-même que ce processus est très lent, et qu'on ne peut que modérément compter dessus.

À quoi bon donc élaborer une grande vision de l'industrie électrique, qu'elle soit nucléaire ou renouvelable, si on n'est même pas sûrs qu'il y aura des machines prêtes à consommer à l'autre bout du câble ? Tout ce raisonnement n'est-il pas un déni de la constatation que la seule solution sûre de fonctionner, et sur laquelle nous avons le contrôle (contrairement à un deus ex machina technologique) est la sobriété ?

Dans certains débats, le sujet est présenté sous la forme de la corrélation entre la croissance économique (= faire tourner des machines) et les émissions de CO2, et la croyance selon laquelle nous arriverons à découpler ces 2 courbes (= faire tourner des machines sans émissions) n'est pas partagée par tous.

Un mix haut-renouvelable est envisageable

Je vais avoir du mal à résumer cette partie, que j'ai trouvée confuse, et abrutissante de chiffres en tous genres. Ça parle de stocker de l'énergie à coup de pompage-turbinage ou d'hydrogène. Ça parle de mise à jour de la grille électrique (très coûteuse) pour prendre en compte intermittence des sources. Et j'ai l'impression que ça se résume à "vous inquiétez pas les pros ont fait les calculs ça marche."

Le contrepoint de cette partie est celui que j'ai écrit en introduction : tout cela est entièrement théorique et, en l'occurrence, cette partie du livre n'a pas réussie à me convaincre (ni-même à me vulgariser) la théorie. 🤷

Conclusion

Je n'ai pas de grande conviction idéologique à la sortie de ce livre, mais juste quelques éléments de pensée :

  • Peu importe la place qu'on lui donne dans le mix, le nucléaire est loin d'être une énergie parfaite.
  • Peu importe le place qu'on leur donne dans le mix, les énergies renouvelables sont les seules sources autres que le nucléaire qui n'émettent pas de CO2, et sont donc ce qui nous resterait dans le cas où le nucléaire nous lâcherait pour une raison ou une autre.
  • Peu importe le mix, il faut consommer moins.
  • La conception du mix est avant tout un exercice de prédiction du futur, et toute proposition doit donc être étudiée avec précaution et sans illusion de certitude.